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Miss Bomb, extraits







" Blanc, puis plus rien.

Quelque chose de pur.

Elle se regarde mourir.

Irréel, comme dans un film.

Elle est entrée dans l’amphithéâtre et s’est adressée poliment à l’huissier : « je suis Lisa Sellam Belkacemi, fille de Mohamed Sellam Belkacemi, né à Sour, province de Mostaganem, Algérie, je cherche une place assise pour le cours de droit international. »

L’homme n’a pas eu le temps de répondre, elle n’a eu qu’à presser légèrement sur le détonateur qu’elle tenait bien au chaud contre son ventre et tout a commencé.

Il est vrai que Mohamed Sellam était né dans le quartier pauvre de Sour, du mauvais côté de la chance, comme il le disait lui-même, côté Est.

Mohamed a été successivement ébéniste, photographe, cordonnier, épicier et pour finir ouvrier « cordiste » sur les chantiers à Marseille. Un physique d’acrobate, souple comme une araignée, il n’a jamais craint le danger, au contraire, il l’a toujours cherché, si bien qu’après vingt ans de service entre ciel et bitume, du côté des grues entre le Panier et Notre Dame de la Garde, il s’est envolé. Il a tout planté, femme, enfants, appart et salaires de smicard pour se poser enfin sur la case départ, un peu de soleil sur la peau contre permis de séjour.

On ne l’a même pas vu partir, on l’a juste su. Il aurait pu agiter un mouchoir à la poupe du navire, comme font les autres quand ils repartent au bled. Il aurait pu avoir les larmes aux yeux et embrasser les frères qui pleurent comme des enfants en déroulant les rouleaux de papier cul jusqu’au bout, une gigantesque pelote de rubans roses qui se déchirent un a un lorsque la terre s’éloigne en signe d’adieu. Il n’a même pas fait ça. Non, il est parti par en-dessous, dans le dos, comme un lâche. Momo, un trouillard ? Sûrement pas. Non, c’est juste qu’il n’a pas eu le cran de regarder sa fille Lisa dans les yeux au moment de la déchirure et de lui dire : « adieu, Lisa, papa s’en va ». Elle lui aurait sûrement demandé pourquoi et il n’aurait su répondre ni quoi ni pour. Aucune raison valable pour abandonner les siens. Même pas les papiers. Les enfants sont égoïstes, ils ne pensent qu’à eux, mais ils aiment savoir pourquoi ceux qu’ils aiment font ce qu’ils n’aiment pas, car à leurs yeux, personne ne peut obliger personne à trahir l’amour.

C’est vrai qu’ils ont la même peau, tous les deux, Lisa et Mohamed, le même grain, ton olive, lisse comme du lait. Elle en a gardé les traces, les stigmates.

Du jour où Momo a disparu, Lisa n’a plus rien dit à propos de la famille. Elle a pris les choses comme elles venaient, sans faire d’histoires. Elle était la cadette, elle devait suivre, « e basta », comme disait Martha, sa mère, en surpoids depuis le jour où elle a compris que son homme ne reviendrait jamais. Il lui en a fait voir, Momo, depuis tout ce temps, vingt années de misère, elle, en cuisine chez les vieux, lui, dans les airs avec vue sur la mer, à la flèche des grues du vieux port pour une poignée d’euros payés à la journée, vingt années de galère jusqu’au jour où il a fichu le camp.

Il avait commencé par lui promettre une maison, un toit en dur, pas du toc, un truc à faire pâlir d’envie tous ceux qui passeraient devant, pas trop chic, non, quelque chose de simple avec un bout de jardin devant, comme dans les livres pour enfants. Sa maison, il la décrivait avec des mots arabes qu’il connaissait des contes orientaux que son père lui lisait la nuit tombée, à Jérusalem où il vivait pacifiquement, à ciel ouvert, disait-il, sans chercher d’histoire à personne, ni aux juifs, ni aux chrétiens, ni aux musulmans. C’étaient des espaces épurés, des courbes douces comme la peau de Martha quand ils se sont rencontrés, il ne manquait d’ailleurs pas de lui rappeler dès qu’il en avait l’occasion le jour où il avait découvert ses seins, elle avait la poitrine généreuse des femmes du sud avec les tétons bruns des femmes noires qu’il aimait si souvent sucer. Ce toit rêvé, Martha ne l’a jamais eu qu’en photo, découpé au ciseau à bout rond dans les magazines de beauté les soirs d’hiver après un plat de pâtes, assise côte à côte avec Momo sur le canapé en velours nylon à dix euros au secours populaire, devant la télé allumée en lampe, comme d’habitude. Comme des vieux amoureux, ils feuilletaient d’un air attendri les Paris-Match périmés, les invendus abandonnés chez le coiffeur pour envelopper le poisson et ils polémiquaient sur les publicités de pavillons-témoins comme s’ils étaient riches et avaient la confiance des banques. Pour faire rire les enfants, ils jouaient à faire semblant que rien ne leur plaisait vraiment, ils faisaient exprès de faire les difficiles, les modèles semblaient banals, tous les mêmes, avec leur petit chemin fleuri devant, et les chiens assis à l’étage, le petit chat noir sur le rebord de la fenêtre et l’oiseau dans la cage comme dans Titi et gros minet. Un chat ? Quelle idée, non plutôt un chien, c’est plus fidèle, un chat c’est égoïste, indépendant et sans gêne. Et en plus, ça pue, à cause des poils et le reste. La discussion pouvait même s’envenimer tellement la chose les passionnait : une maison, une vraie, comme dans la vie et les pubs. En fait, personne n’y croyait, pour une simple et bonne raison que tout le monde savait : on n’avait pas un rond. Alors on mangeait, on se goinfrait presque, comme pour se rassurer en spaghettis technicolor.

Momo avait un sacré talent pour la rêverie. Il était capable d’inventer n’importe quoi et surtout de s’y tenir, comme si l’imaginaire lui donnait du réel, du pain sur la planche, sonnant et trébuchant. Un beau jour, il a dit « je me lance » et il s’est lancé. Il était devenu bizarre, comme piqué, poussé par une sorte de fièvre nerveuse quasi hallucinogène, il a marché frénétiquement pendant des jours, errant comme un forcené dans des zones plus ou moins glauques autour du Panier, les mains dans le dos, une paire de jumelles dans la poche et dès qu’il sentait une vue, il s’arrêtait et scrutait. Il est remonté jusqu’à Cassis en longeant les calanques puis il a fait le grand tour en passant par Aubagne mais, quand il a vu le prix des terrains du bord de mer il est revenu sagement vers le nord, dans les quartiers qu’il connaissait. Ce qu’il voulait, en habitué des hauteurs des flèches et des grues, c’était une vue. Construire une maison de ses mains, d’accord, en baver, oui, mais avec vue. Momo, il lui fallait de l’étendue, des lignes plates pour dominer la perspective, la mer, le ciel, la montagne, une avenue, une rue, une ruelle ou même une venelle, pourvu qu’il y ait une vue. Où ? A force d’arpenter, de ratisser, il a fini par trouver le bon coin un peu par hasard, c’était pas trop cher, c’était surtout ça, un petit bout de terrain pris entre les arches métalliques d’un pont de chemin de fer près de l’échangeur routier, une friche bien placée sur les hauteurs, juste en-dessous de la voie ferrée mais avec une petite ouverture plongeante sur le vieux port si on se mettait de côté et si on oubliait les deux tours immenses qui encadraient l’horizon. C’était chouette. Il avait trouvé ça par un copain carrossier auto, un italo-corse du nom d’Antoine Vinciguerra qui travaillait à la casse à deux pas de là. Vinciguerra lui avait montré l’endroit en pissant avec lui, il aimait se soulager à cet endroit à cause de la hauteur qui lui donnait un certain bien-être. Ce n’était pas grand- chose, un peu plus de cent mètres carrés de friche que Momo aurait évidemment préféré acheter s’il en avait eu les moyens tellement la situation du lieu lui parut immédiatement enviable. Sans jamais baisser les bras, armé de l’immense patience due à sa modeste condition, il se mit vaillamment à la tâche pour élever rapidement une de ces petites constructions précaires, moitié béton moitié carton qui est devenu bien vite un petit deux pièces cuisine à quoi il a rajouté une chambre pour les enfants une année plus tard. C’était assez charmant, ça avait presque l’air d’une maison mais ça ne ressemblait pas du tout à ce que Martha avait préféré en photo dans les magazines. Il n’y avait pas de petit chemin devant pour serpenter doucement jusqu’à la porte d’entrée, c’était juste un passage fait de plaques de goudron séché qui allait jusqu’à la véranda, une petite construction de canisse ouverte aux quatre vents. Il n’y avait pas non plus d’étage avec chambre, c’était de plein pied, la construction était sommairement posée sur des parpaings en guise de vide sanitaire, et les toilettes, une fosse sèche que Momo revendiquait comme écologique, étaient restées à l’extérieur, discrètement adossées à l’une des arches du pont métallique pour ne pas se faire remarquer.

Dans cet environnement assez baroque dont chacun était persuadé qu’il ferait bien vite des envieux, Momo avait tout prévu sauf le son.

Le moment qu’avait choisi Samy, un marocain rusé, pour signer le bail de location de la friche était curieusement tombé un jour de grève nationale. Ce jour-là, tout était gelé comme un matin de fin du monde, les quais des gares étaient déserts, les wagons de marchandise arrêtés au milieu des voies comme des fantômes. Samy et Momo ont signé les papiers au stylo Bic transparent sur un fût métallique rouillé en guise de tapis vert et ont copieusement arrosé ça avec de l’alcool frelaté que Samy avait négocié à Tanger. Le travail reprit trois jours après la signature et le trafic ferroviaire aussi, plongeant naturellement la zone élue dans un vacarme quotidien connu de tous, sauf de Momo.

Lorsqu’un convoi de marchandises passait à hauteur de la friche, toutes les sept minutes environ, six jours sur sept, sauf le dimanche, c’était comme une petite apocalypse qui se produisait, obligeant chacun, comme au moment de la prière, à regarder non pas le ciel mais le sol, la tête prise dans les mains de peur que tout s’écroule autour. Les sons lourds et mats du choc des fers invitaient comme au respect d’une force supérieure, une puissance sans commune mesure avec celle du plus balèze des prophètes et des saintes écritures à cause de ses grincements à vous faire exploser les dents. Au moment du passage, rien d’autre à faire que de rester humblement immobile, retenir son souffle, attendre la fin des vibrations mécaniques qui secouaient les os jusqu’à la nausée et guetter le retour du silence pour respirer à nouveau comme après une interminable séquence d’apnée.

Les travaux d’édification ont duré un peu plus de dix ans.

Une décennie pendant laquelle les naissances se sont succédées dans ce petit nid d’amour, c’est ainsi que Martha et Momo appelaient leur logis, modeste mais bien à eux, même si la maison s’était élevée sans permis sur un terrain qui n’appartenait pas directement à Samy, disparu sans laisser d’adresse, si bien qu’il était devenu impossible de payer le loyer prévu au bail de la friche, le courrier destiné à Samy revenant systématiquement avec la mention « inconnu, retour à l’envoyeur ».

Martha mit seulement quelques mois à s’accoutumer au relatif inconfort sonore, ainsi que les enfants. Très vite l’habitude fut prise et chacun apprit à doser la hauteur de ses mots, mesurer son temps de parole, passer à travers les gouttes de bruit et glisser ce qu’il avait à dire aux bons horaires. Cela évitait de parler inutilement et obligeait à aller à l’essentiel, ce qui, au fond, n’était pas plus mal.

Lisa est arrivée en dernier, après deux garçons, tous deux nés dans le lit conjugal, entre deux trains. Il y eut d’abord Samir puis Meziane et enfin, Lisa. Les garçons étaient tous baptisés d’un prénom arabe par une décision de Momo qui considérait comme non négociable l’éducation de ses fils. Quant à Lisa, c’était l’affaire de sa mère, entre femmes, elles sauraient se comprendre. D’ailleurs, elles se comprenaient plutôt bien. Martha aimait partager avec sa fille tout ce qui faisait à ses yeux le charme et la douceur des caractères féminins, les petits secrets, l’amour des parfums et des tissus. Martha aurait voulu que Lisa devienne couturière, un métier noble selon elle, qui pouvait rapporter gros. Elle en savait quelque chose puisque son père, Léon, né à Saint-Eugène, près d’Alger, était tailleur. D’accord, il n’avait jamais fait fortune avec ce métier-là, disait-elle avec la nostalgie du passé et une tendresse infinie pour son père, mais au moins, lui, il s’était épanoui dans un travail qu’il aimait, pas comme Momo, qui traînait depuis tant d’années sur les chantiers pour une misère. Léon, au contraire, était un homme calme, doux, et même si, devenu orphelin à l’âge de cinq ans il s’était éduqué tout seul, il savait parler aux dames qu’il habillait sur mesure et s’inquiétait toujours de leur bien-être dans sa boutique, un petit atelier qui donnait sur une ruelle perpendiculaire à la mer. C’était un homme de goût, très sensible à la douceur des matières qu’il travaillait, la soie, le fil de coton, la laine et même le nylon.

Mais Lisa voyait les choses autrement. Elle aimait l’école. Elle voulait faire des études et devenir une femme libre, pas une esclave au service des hommes qui ne savaient que profiter de la patience et la bonté des femmes. Martha voyait ce penchant d’un sale œil, convaincue que Lisa allait droit vers ce qu’elle appelait par euphémisme « les problèmes » si elle s’entêtait à vouloir être différente. Mais Lisa avait décidé de suivre la route qu’elle s’était tracée en secret depuis la plus tendre enfance, dans ses doux rêves du soir en solitaire dans sa petite chambre où parfois la pluie filtrait par les interstices de la toiture jusqu’à goutter sur son front, où elle jouait dans son lit avec les mains en mimant un monde imaginaire fait de beauté, de justice et d’élévation.

Rien, aucune force, ne pourrait la détourner du chemin qu’elle s’était dessiné dans ce paysage intime. Contrairement à Samir, son frère aîné, disparu dès l’âge de dix-huit ans dans un accident de moto à la suite d’un pari ridicule avec des jeunes de la cité, Lisa voulait réussir sa vie. A la différence de Meziane, de deux ans son aîné, un vrai cancre passionné de jeux vidéo et de foot, elle voulait un avenir de culture et de connaissance. A l’inverse de sa mère qui avait passé sa vie à attendre au foyer le retour de son homme qui, fatalement, a fini, un beau jour, par lui fausser compagnie sans vergogne, Lisa avait décidé d’un horizon de liberté, de puissance et de pureté. Elle serait avocate.

Mais rien, évidemment, n’était acquis. Elle savait bien que la vie n’était qu’une suite de surprises bonnes ou mauvaises et qu’il était plus sage de considérer l’avenir avec prudence, sans a priori, favorable ou non, la philosophie de la misère acquise au berceau imposant de laisser faire la nature, l’aider tout au plus, plutôt que de la forcer.

Son premier procès fut celui des bulldozers. Elle était seule à la maison ce matin-là, Martha était partie nourrir les vieux de l’hospice où elle travaillait depuis peu, les trains s’étaient tus sans qu’on ne sache vraiment pourquoi et elle travaillait ses opérations dans un demi-silence, la télé étant toujours en fond, à la veille de l’épreuve de calcul mental de cours élémentaire qu’elle révisait par défi, au nom du principe que tout est possible, y compris les mathématiques dans cet univers de fou que représentait la vie de famille. Dans cette étrange paix où tout était relativement calme, elle raisonnait avec méthode lorsque de légères vibrations firent tinter le verre vide, en pyrex, qu’elle avait devant elle. Puis, comme par magie, tout se mit à vibrer autour, un peu comme dans le thriller mexicain à deux balles qu’elle avait loué la veille chez le Chinois, la vaisselle, les placards, les murs, les plafonds et les appliques, les premières fissures traçant des figures murales cinétiques comme des signes avant-coureurs d’une secousse sismique de sérieuse amplitude. Elle entendit des cris, des ordres, des gens qui fuyaient dans tous les sens comme dans la Liste de Schindler qu’elle avait aussi vu la veille à la suite du thriller car elle n’arrivait pas à s’endormir, puis elle sortit. Elle eut à peine le temps de mettre le nez dehors que déjà la main gigantesque d’un engin à plusieurs bras jaunes dont les forces démultipliées hurlaient aussi fort qu’un porc qu’on égorge s’emparait du toit de la maison de Martha et Momo pour n’en faire qu’une bouchée, foudroyant d’un seul coup fondations et élévations du modeste et tendre logis familial, cette maison avec vue, si précaire, que Momo avait mis tant d’années à construire, sans permis. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il n’en restait rien, juste un tas. Lisa en resta bouche bée, sauvée d’extrême justesse du cataclysme par un ouvrier noir qui s’était jeté sur elle pour la protéger des morsures de l’engin qui s’en prenait déjà à d’autres parties de la friche, faisant du passé table rase sans philosophie.

A cette époque, Lisa adorait son père.

Elle devait avoir quelque chose comme sept ou huit ans, tout au plus, elle était très menue, un petit visage fin et deux grands yeux ébène, une chevelure de jais, elle le voyait grand et fort, plein de force de vie et d’idées pour l’avenir, elle aimait son sourire édenté qui s’ouvrait grand devant les programmes stupides de télé réalité qu’ils regardaient ensemble le soir avec les frères dans la chaleur du gourbi familial. Elle aimait le voir faire la prière, plusieurs fois par jour, agenouillé sur un petit tapis turc, la seule chose de valeur qu’il possédait avec le poste de télévision, tourné vers une hypothétique Mecque qu’il était supposé deviner derrière l’horizon de la friche. Elle aimait ses babouches sur le pas de la porte qui ne fermait pas, elle était rassurée de l’entendre ronfler quand elle ne dormait pas, elle l’épiait quand de drôles de petits cris de chat qui venaient de la chambre lui rappelaient qu’il y avait une différence, comme disait Martha, entre les enfants et les adultes.

Elle n’a pas compris son absence.

C’est-à-dire que les choses ne se sont pas passées comme elles auraient dû. Grâce à Martha, qui, elle, avait la tête sur les épaules et savait de quoi elle parlait quand elle s’adressait à l’administration, la famille Sellam avait pu être relogée dans un endroit salubre, un petit trois pièces à la Castellane, cette cité des quartiers nord de Marseille bien connue des services de police. L’appartement, même s’il disposait d’une salle de douche, d’une vraie cuisine et de cloisons en dur, déplaisait fortement à Momo pour une raison logique et largement prévisible: la fenêtre du séjour donnait sur un mur. Momo n’a jamais pu se conformer à l’idée qu’il vivrait dans un endroit sans vue, même si la cuisine donnait sur l’arrière, un terrain vague constellé de carcasses de voitures et autres objets de consommation abandonnés en désordre en pleine rue. Martha, qui aimait les choses modernes, se plaisait beaucoup dans ce nouveau logis aux larges ouvertures où le moindre meuble en formica prenait une classe folle sur le lino gris. Les enfants avaient leurs chambres avec fenêtres, les portes avaient des clés et tout ressemblait à ce qu’aurait pu être une vie normale. Mais Momo ne supporta pas. Un matin, sur la table du petit déjeuner, son bol et son rond de serviette étaient orphelins de lui. Lisa et Meziane se regardaient sans rien dire, car ils savaient ce qu’il s’était passé, ils avaient entendu des paroles dans la nuit et ils redoutaient ce moment depuis longtemps, Momo avait mis les voiles. En regardant les larmes couler sur les joues de Martha, Lisa incriminait les bulldozers, les jugeant entièrement responsables du désespoir et du malheur. Un jour, quand elle serait avocate, elle leur ferait un sacré procès où, disait-elle, ils mangeraient leur merde, car c’était bien à cause d’eux que toute la tristesse leur était tombée dessus."








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